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Congo-Brazzaville : chronique du génocide des Lari du Pool
jeudi 21 février 2019, par
Mercredi 6 février, la Maison du Monde , à l’initiative de l’association Equité, a organisé une rencontre-débat sur le drame caché que vit depuis des décennies la population du Congo-Brazza, et tout particulièrement celle qui habite le Pool, région qui entoure la capitale Brazzaville et qui est peuplée par les Lari. Il ne s’agit pas d’une guerre civile, mais d’un génocide orchestré par le président Sassou Nguesso et exécuté par ses milices. Ces faits viennent d’être dénoncés publiquement par N’saku Kimbembe dans ce livre publié à L’Harmattan (163 pages, 17,50 €). Le président d’Equité, Saliou Diallo, a présenté l’auteur comme un grand témoin de ce drame, comme quelqu’un dont le témoignage ne peut être mis en doute puisqu’il a vécu au cœur des événements.
Plus d’une quarantaine de personnes étaient présentes, dont une grande majorité de Congolais. Certains, très concernés par cette rencontre, ne seraient pas venus par crainte de représailles auprès des leurs au pays. La rencontre a été filmée par un journaliste de la télévision de la diaspora congolaise : une demi-heure après, plus de 800 personnes avaient déjà visionné l’enregistrement ! Ce document va donc être très largement diffusé en France et, espérons-le, au Congo lui-même.
Qui est N’saku Kimbembe ?
Il s’est présenté lui-même comme un prêtre, curé d’une paroisse du Pool. Un jour, son évêque, bouleversé par le récit d’une dame dont les deux grands garçons, ses uniques enfants, venaient d’être assassinés par des Cobras de Sassou, l’appelle pour une demande très précise : écrire au jour le jour les exactions dont étaient victimes ses propres paroissiens, c’est-à-dire écrire la chronique des crimes perpétrés par les milices gouvernementales (Cobras, Ninjas et autres Ninjas-Nsilulu) sur le territoire de sa paroisse. Les faits qu’il a consignés par écrit s’étalent sur la dernière décennie du 20e siècle, mais couvrent surtout les années 1997-98-99. Hélas, il n’a pas pu continuer sa macabre chronique : catalogué « prêtre dangereux », -et bien qu’il ne craigne pas de mourir pour le Congo- il a dû fuir en France en 2000, avant tout pour faire passer ses précieux documents, qu’il a remis à François-Xavier Vershave, fondateur de l’association Survie et pourfendeur de la Françafrique. « Mon Dieu, si tu existes, se disait-il avant de franchir la frontière, fais que ces documents soient sauvés ! », conscient qu’il détenait des preuves irréfutables des exactions du pouvoir contre sa propre population, véritables pièces à conviction à destination des médias et, pourquoi pas, en vue d’un éventuel procès. Accueilli dans le diocèse de Lyon, il est depuis revenu à la vie civile et s’est marié.
Lui-même est de l’ethnie Lari, le terme « ethnie » étant un héritage colonial, auquel il préfère celui de « clan » , comme il l’explique dans son livre. Pourquoi ce sont les Lari les plus visés, bien que, dit-il, il y ait des Lari complices ? C’est parce qu’ils véhiculent les « valeurs Kongo » : partage, honnêteté, justice, amour… L’éducation s’appuie sur des proverbes. Par exemple : « Ce qui est à moi est à moi, mais ce qui est à nous n’est pas à moi. » Ce qui signifie dans le contexte de corruption de l’Etat : « L’argent de l’Etat n’est pas à moi. » Ou bien : « Le menteur et le sorcier, c’est la même chose. » Ou encore : Si tu as quelque chose, partage avec l’autre. »
Ne peut-on pas penser cependant que d’autres raisons, plus politiques, ont généré cette situation depuis l’assassinat du président N’gouabi en mars 1977 ? La question n’a pas été abordée.
Génocide ou pas ?
En commençant sa présentation, sans prétention et de façon un peu décousue mais ô combien émouvante parce qu’il parlait en témoin d’horreurs insoutenables, il a bien précisé que son ouvrage n’est pas un essai ni le fruit de son imagination, mais un recueil de faits consignés méticuleusement au jour le jour, un à un, avec des noms de personnes, de lieux et des dates précis. Il a même noté des naissances, car la vie continuait malgré tout. D’emblée, il nous a parlé de génocide, un concept qui « fait sursauter », parce qu’il « émeut » curieusement plus que la réalité des faits elle-même qui apparaît « secondaire ». Pourtant, dit-il, n’est-ce pas « plus difficile de voir des milliers de cadavres » ? Quand il a rédigé son rapport il y a vingt ans, il avait pensé à ce terme sans oser l’employer car il l’estimait trop fort. Aujourd’hui, il n’hésite plus, parce que c’est bien de cela qu’il s’agit, un génocide toujours en cours d’ailleurs. Un « génocide multiforme », précise-t-il, celui du massacre de personnes physiques par milliers, mais aussi un « génocide éducationnel » : « c’est l’éducation qu’on assassine » en pulvérisant les écoles sous les bombardements ; dans les rares qui ont subsisté, « on peut voir 300 élèves assis à même le sol ». « Allez voir l’état de nos villages, les maison brûlées, avec les arbres fruitiers tronçonnés et les survivants qui meurent de faim. » Tout cela a été « prémédité ». Quand, depuis plus de vingt ans, en pays lari, on tue des citoyens non armés, qu’on humilie les gens en mutilant des cadavres, qu’on pousse des soldats contaminés par le VIH à violer des femmes, qu’on nie la mort des victimes « qui n’ont ni le droit de vivre ni le droit de mourir », le Pouvoir détruit physiquement un peuple, son propre peuple, efface son histoire, supprime son âme, nie son existence même. « Comment appeler cela sinon un génocide ? » C’est pourquoi, il était (il est toujours) nécessaire, selon N’saku Kimbembe, de continuer ce travail de reconnaissance des morts et des disparus.
Au passage, il a rappelé que ce jour du 6 février 2019 était le vingtième anniversaire du massacre de 16 personnes dans un village, le 6 février 1999, et que sa pensée allait vers ces « martyrs ».
Le génocide aurait été déclenché en 1977 après l’assassinat du président N’gouabi le 18 mars, à l’instigation de Sassou N’guesso, alors ministre de la Défense et de la Sécurité, suivi aussitôt le 22 mars de celui du cardinal Biayenda, archevêque de Brazzaville, convoqué par le ministre pour témoigner devant le Comité militaire du parti après l’assassinat du président, un piège pour le faire disparaître à son tour. Pour N’saku Kimbembe, en tuant Biayenda, on n’a pas tué le cardinal mais un Lari. On a fait disparaître aussi l’ex-président Massamba-Débat ainsi que les témoins lari du Pool au procès des présumés assassins de N’gouabi, le 6 février 1978.
Témoignages de personnes présentes
Pour « connaître la situation au Congo », comme l’a précisé Saliou Diallo, avant de donner la parole à la salle, une large place a été donnée à des personnalités congolaises concernées au premier chef par cette situation, Florence Dini par exemple dont le frère a été assassiné. Il est difficile d’en rendre compte en raison de la complexité des faits et des points de vue parfois contradictoires. D’autres livres et des colloques l’ont fait auquel il faut se rapporter.
Benjamin Moutsila, délégué de la Fédération des Congolais de la diaspora, a rappelé qu’une première plainte contre les commanditaires et les assassins a été déposée en 2001 dans le cadre de la Convention de Rome. Il a parlé d’un rapport de l’ONU, de celui de la Caritas américaine, de celui de l’évêque de Kinkala signalant que les personnes visées ont des noms à consonance Lari, avec l’apparition du terme de « race ». Il a insisté sur celui de Médecins Sans Frontières (MSF) « Guerre contre les civils », qui déjà dénonce le viol comme nouvelle arme de guerre contre 1190 femmes, adolescents et petites filles. Il s’est demandé « pourquoi à Paris ça n’a pas avancé », a parlé d’une commission rogatoire refusée par le gouvernement congolais et d’une autre procédure lancée à Bruxelles en 2010. Enfin, il a fait état de rumeurs de massacres dans d’autres régions que le Pool.
Un avocat, maitre Dominique Nkounkou, qui a qualifié Sassou de « plus grand criminel du Congo », a évoqué un événement connu sous l’expression « Les explosions de M,pila » le 12 mars 2012. Au cours du procès, il a démontré comment le génocide aurait pu être arrêté. Faisant allusion à une autre affaire criminelle concernant l’arrestation d’un colonel, l’avocat a utilisé le droit pour déposer une plainte contre Sassou qu’il désignait comme responsable ; celui-ci a nommé une commission d’enquête dont il a pris lui-même la présidence, ce que l’avocat a appelé la « Théorie de la substitution du coupable ». Et de s’interroger lui aussi sur le rôle de la France.
On ne peut taire la petite polémique qui a opposé un proche du Vatican et Benjamin Moutsila à propos du cardinal Biayenda, le premier déclarant qu’il aurait été enterré vivant, ce que conteste le second. Les chrétiens du Congo, très majoritaires dans le pays, le considèrent comme un « martyr », de même qu’un catéchiste et deux pères blancs assassinés, sa tombe est devenue un lieu de pèlerinage, et une procédure de béatification a été introduite au Vatican, où son dossier serait retardé en raison du désaccord sur les circonstances de sa mort.
Concernant le cardinal, Pierre Delahaye, 97 ans, Evryen qui a passé 15 ans en Afrique noire comme prêtre-ouvrier, dont 5 au Congo Brazza, qui a été lui aussi « témoin de ces drames, de ces assassinats, de ces injustices », s’est dit très touché par le témoignage de N’saku Kimbembe : « Tout ce qu’il a dit est vrai. » Il a bien connu le cardinal et ses assistants qui l’ont vu pour la dernière fois. Un témoignage de première main que nous, les participants, avons eu la chance d’entendre. Ils lui ont raconté comment s’est déroulé sous leurs yeux l’enlèvement de cet « homme d’une grande bonté mais inconscient du danger ». Ils ne voulaient pas qu’il parte avec les militaires venus le chercher mais l’emmener eux-mêmes dans la voiture de l’évêché :
Nous avons besoin de vous, lui ont-ils dit.
Je peux monter dans leur voiture, leur a-t-il répondu, pour ne pas contrarier ces hommes qui ont eu l’amabilité de venir me chercher.
Il avait confiance parce qu’ils avaient mission de le ramener. Ils ne le reverront pas vivant. Il aurait été emmené en forêt où il a été assassiné, mais Pierre n’a pas su comment. Son corps a été remis entre les mains de religieuses qui l’ont lavé, ont pansé ses blessures et l’ont habillé. Malgré la peur, une foule immense a assisté à ses funérailles.
A deux reprises, la passivité de la France a été dénoncée mais sans plus de précision. Vers la fin, Michel est revenu sur la Françafrique dont le mot n’a pas été prononcé au cours de la rencontre, mais qui sévit toujours, notamment au Congo Brazza. Il s’est appuyé sur un long article du Monde du 1er février 2019 « Benalla et les intermédiaires de la Françafrique » qui décrit les agissements clandestins en Afrique de personnalités proches de l’Etat ou qui l’ont été. Donc parmi « ces hommes de l’ombre », « le conseiller limogé » : après son déplacement au Tchad en décembre 2018, il n’a « pas eu besoin de visa ni de tampon » pour atterrir, à bord de l’avion du « riche homme d’affaires multinationalités », le franco-israélien Solomon, sur l’aéroport d’Oyo, ville natale de Sassou, avec une « délégation menée et logée à la résidence présidentielle »…
En conclusion, Saliou Diallo s’est félicité de la soirée et s’est interrogé sur le peu d’écho qu’a eu en France l’assassinat du cardinal et d’autres religieux au Congo et ailleurs en Afrique, en comparaison avec la médiatisation de l’assassinat des moines français de Tibéhirine en Algérie. Il a appelé à continuer ce travail d’information : « Plus nous serons silencieux, plus les massacres continueront. »