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Le monde arabo-musulman entre terreur et espoir
lundi 6 juin 2016
Toute guerre civile génère son lot d’horreurs. Mais celles qui sont perpétrées en Syrie depuis 2011 dépassent l’entendement. Le livre récent de Samar Yazbek, « Les portes du néant », vous y plonge jusqu’à la nausée. Issue de la communauté alaouite, elle a participé aux premières manifestations pacifiques contre la dictature de Bachar. « Arrêtée, battue, terrorisée », elle a dû s’exiler en France avec sa fille. Mais, ne supportant pas ce « bannissement », elle est retournée clandestinement en août 2012, février 2013 et juillet-août 2013 dans les enclaves du nord insurgées et tenues au départ par l’Armée Syrienne Libre (ASL) pour aider les femmes à mettre en place des écoles et des centres de formation, à bâtir une Syrie libre, démocratique et laïque. Surtout, elle s’est mise à écrire pour témoigner du quotidien des familles qui voulaient continuer à mener une vie digne sous la menace permanente des barils de pétrole et des bombes à fragmentation, tout en extrayant les gens des décombres, en enterrant les morts, en secourant les blessés, en protégeant les enfants et en faisant des projets pour l’« après-Bachar ».
En 2013, en prenant le risque incroyable de rencontrer des émirs jusque sur la ligne de front, elle témoigne de l’évolution d’un pays qui s’enfonce toujours plus dans la barbarie et l’obscurantisme avec l’apparition des islamistes radicaux et des étrangers recrutés par Daech : par leurs tribunaux improvisés, ils « imposent la charia, le port du voile, les châtiments corporels »... Les rebelles se voient désormais « contraints de combattre à la fois les partisans du régime et ceux du califat ». Depuis 2013, la situation est devenue tellement intenable qu’elle a engendré ces flots de réfugiés auxquels l’Europe, France en tête, ferme ses portes par un calcul égoïste qu’elle paiera un jour.
La Tunisie, par contre, ce petit pays qui a allumé la flamme de la révolution dans le monde arabe fin 2010 et seul survivant de cette épopée, semble de nouveau tracer un chemin qui pourrait servir de modèle aux autres. La situation est loin d’y être brillante : point de passage et de fixation des migrants de toute l’Afrique -plus de deux millions, dans des camps avec leur lot de trafiquants-, une économie plombée par la chute du tourisme, une agriculture bouleversée par l’agrobusiness au détriment des petits paysans, un taux de chômage très élevé, des jeunes sans avenir, des salafistes actifs, le voisinage d’une Libye anarchique et d’une Algérie suspendue aux conséquences imprévisibles de « l’après-Boutef ». Mais, seule à avoir accouché d’une Constitution en 2014 après trois années de débats citoyens où les pressions du parti islamiste Ennahdha a fait craindre le pire aux démocrates, elle cherche encore la voie de l’« après-Ben Ali ».
Ennahdha, qui représente le groupe parlementaire majoritaire, partage aujourd’hui le pouvoir avec Nida Tounès. Faut-il croire son dirigeant historique Rached Ghannouchi quand il déclare, au 10e Congrès du parti, du 20 au 22 mai, qu’« il n’y a plus de justification à l’islam politique » en Tunisie ? que son parti est un « parti politique, démocratique et civil » avec « un référentiel de valeurs civilisationnelles musulmanes et modernes » ? qu’il faut « distinguer le politique du culturel » ? « la démocratie musulmane » et « l’islam djihadiste extrémiste » ? Pourquoi ne l’a-t-il pas dit plus tôt ? Qu’en pensent les Tunisiens et ... les Tunisiennes ? Ce serait un tournant capital, qui ouvrirait la voie à une démocratie nouvelle dans un monde arabomusulman qui ne connaît quasiment que des dictatures militaires ou religieuses.