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« Lanceurs d’alerte » et Liberté d’Expression
mercredi 8 janvier 2020, par
Dans le cadre du Mois des 3 Mondes édition 2019 "Liberté d’Expression", Anticor 91 a animé une table ronde ayant pour sujet les « Lanceurs d’alerte » qui s’est tenue vendredi 6 décembre dans les locaux de la Maison du Monde.
Jean-Philippe Foegle, porte-parole de la Maison des Lanceurs d’Alerte (MLA), très attendu, n’a pu venir en ce début de grève des transports. Sans doute pour les mêmes raisons, la table ronde s’est tenue devant un public restreint malgré l’intérêt certain pour le sujet et de nombreux témoignages reçus lors de la préparation.
Nous étions 9 convives, organisateurs et intervenants, autour du repas animé qui a précédé la table ronde, nous permettant de faire connaissance en rentrant dans le vif du sujet.
Grégoire Turlotte (coordinateur Anticor 91) qui animait la table ronde, a débuté en évoquant la genèse d’Anticor, initialement une association d’élus ayant analysé l’avancée de l’extrême droite aux élections présidentielles de 2002 comme une sanction contre les pratiques occultes de la classe politique, prônant la transparence comme rempart contre la corruption, amenant certains élus devant le juge. Progressivement, un mouvement citoyen s’y est associé, des groupes locaux généralement départementaux se sont créés et ont fusionné dans l’actuel Anticor qui compte plus de 3000 adhérents et ne bénéficie d’aucune subvention pour préserver son indépendance.
Grégoire donne ensuite la parole à chaque intervenant pour livrer son témoignage de lanceur d’alerte.
Philippe Laville (LDH France Ligue des Droits de l’Homme) a fait état de la « Lettre ouverte à E.Macron sur le statut des lanceurs d’alerte » du 7 novembre 2019 et des nombreuses organisations signataires dont la LDH. « D’Antoine Deltour à Edward Snowden, les lanceurs d’alerte ont osé, et osent dire leur désaccord sur la place publique au nom de l’intérêt général. Souvent au prix fort, car leur protection reste insuffisante, fragmentée, tant à l’échelon national qu’européen ». L’Europe a, de façon contradictoire, à la fois réduit la liberté d’expression avec la directive sur le secret des affaires en 2016 tout en reconnaissant le statut de lanceurs d’alerte en 2019. La directive sur les lanceurs d’alerte est jugée insuffisante.
Anne-Claire Rafflegeau (CIU Coordination Inter Urgences) prend ensuite la parole pour retracer les premiers pas d’une équipe de soignants des urgences de Bicêtre, suite à l’analyse que cette équipe a faite de la situation aux urgences des hôpitaux publics et qui diffère de celle des autorités supérieures tendant à faire croire que la montée de la violence aux urgences est un phénomène de société et non pas un malaise général dont les causes peuvent être analysées. Cette analyse sera progressivement validée par l’ensemble des services des urgences en France, faisant état d’un raz-le-bol général devant la pénurie de personnel et de matériel mettant en danger les patients, générant l’épuisement physique et moral des soignants et des médecins, suscitant colère et violence verbale chez les patients attendant des heures une prise en charge de qualité qui ne vient pas, qui ne viendra pas. L’adhésion générale aux conclusions d’une telle analyse donne toute sa puissance à l’alerte pour mise en danger de la vie d’autrui, lancée par la Coordination Inter Urgences aux pouvoirs publics. Les lanceuses et lanceurs d’alerte subissent ou ont subi diverses brimades allant jusqu’à la mise à pieds pour avoir osé dénoncer un état de fait en contradiction avec une certaine politique en matière de santé. La LDH France accompagne la CIU.
Dominique Dutoit, citoyen de Vigneux-sur-Seine, brosse le tableau d’une lutte soutenue par Anticor contre corrupteur et corrompu, autour d’un permis de construire sur un terrain non-constructible. Il met en scène les atermoiements municipaux, juridiques face à l’action de citoyen destinée à empêcher une opération dangereuse pilotée par une entreprise escroc. Il fait état de l’acquisition de compétences qu’il n’avait pas au départ, de la création d’un groupe de citoyens solidaires et opiniâtres pour venir à bout d’une affaire de corruption. Son parcours donne une idée de ce qu’il faut endurer durant des années pour obtenir que justice soit rendue, alors que dès le début, lorsque l’alerte est lancée, il est évident que le permis de construire n’a pas pu être donné sans une manœuvre occulte. Ce témoignage est également un encouragement à une vigilance citoyenne car parfois ce genre de projet est découvert « par hasard » avant sa réalisation, l’affichage légal peut ensuite avoir été antidaté … Transparence exigée, mais également vigilance citoyenne.
Philipe Pascot, écrivain, se dit « éveilleur de conscience » mais il est également un lanceur d’alerte engagé et soutien de lanceurs d’alerte pour de nombreux combats de société (incinération, gaz et huile de schiste, don de moelle osseuse, soutien au mouvement des gilets jaunes). Dans ses nombreux ouvrages qui rencontrent un franc succès, il n’en croit ni ses yeux ni ses oreilles et en vient même à douter de lui-même tant ce qu’il découvre sur les pratiques de certains politiques en particulier, au sommet du pouvoir, souvent, et qu’il nous fait partager, semble énorme : mensonges, escroqueries, invraisemblances …
Les échanges se sont poursuivis un bon moment autour d’un verre de jus de fruit, parfois même jusque dans le parking, permettant à chacun d’interroger les intervenants sur des points précis et selon son domaine, prouvant le regain d’intérêt et l’étendue des domaines touchés par les lanceurs d’alerte.
Une table de presse proposait des ouvrages récents tels que :
Mensonges d’État – Philippe Pascot – éditions Max Milo
Pendant que le peuple en colère défile dans une mobilisation populaire inédite depuis la révolution française, que le monde (média compris) regarde transi une marée jaune submerger les rues de France ; l’Etat, les parlementaires et les lobbies ont accéléré en catimini leur domination sur l’ensemble de la société. Avec des lois, amendements de dernières minutes, artifices administratifs imposés, mise au pas des parlementaires, ils légifèrent et légalisent l’immoralité ...
Les faire taire – Ronan Farrow – éditions Calmann-Lévy
Dans ce document exceptionnel, Ronan Farrow, Prix Pulitzer 2018 pour son enquête sur Harvey Weinstein, dévoile les systèmes implacables mis en place par les prédateurs pour faire taire leurs victimes et retrace les différentes étapes de son impressionnant travail d’investigation.
La fabrique du crétin digital – Michel Desmurget – éditions du Seuil
La consommation du numérique sous toutes ses formes – smartphones, tablettes, télévision, etc. – par les nouvelles générations est astronomique. Dès 2 ans, les enfants des pays occidentaux cumulent chaque jour presque 3 heures d’écran. Entre 8 et 12 ans, ils passent à près de 4 h 45. Entre 13 et 18 ans, ils frôlent les 6 h 45. En cumuls annuels, ces usages représentent autour de 1 000 heures pour un élève de maternelle (soit davantage que le volume horaire d’une année scolaire), 1 700 heures pour un écolier de cours moyen (2 années scolaires) et 2 400 heures pour un lycéen du secondaire (2,5 années scolaires).
L’art de la révolte - Geoffroy de Lagasnerie – éditions Pluriel
Edward Snowden, Julian Assange et Chelsea Manning sont les figures essentielles des luttes qui se jouent autour des secrets d’État et de la surveillance de masse, des libertés à l’ère d’Internet, de la guerre et du terrorisme. Pour Geoffroy de Lagasnerie, ils sont bien plus que des lanceurs d’alerte : ce sont des personnages exemplaires qui réinventent un art de la révolte.
Remerciements à Yvette Legarff (LDH 91), Julie Ozenne (Anticor 91), Patrick Champeau (Maison du Monde), Josette Pineau (Maison du Monde) pour leur concours avant, pendant et après la table ronde et Myriam Heilbroon, présidente de la Maison du Monde.