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DU FORUM SOCIAL MONDIAL ALGERIEN AU FORUM SOCIAL MONDIAL DE BAHIA

vendredi 4 mai 2018, par Joëlle MESLEY

Le 13 avril 2018, le Collectif Méditerranée de la MDM organisait une rencontre sur ce thème à la Maison du Monde d’Evry. Les intervenants étaient Mohamed Yacoubi, jeune retraité et ancien syndicaliste, membre du FSA à Oran, et Ferhat Firas, professeur de sciences politiques et membre du FSA à Oran. Tous deux revenaient de Bahia où ils avaient participé au Forum social mondial début avril.

Le Forum social algérien est né le 13 janvier 2017 à Alger, se donnant des statuts par la volonté d’une vingtaine d’associations et le soutien de plusieurs personnes de référence : à son origine, un rassemblement de mouvements de jeunesse à Tichy en septembre 2016, ceux-ci ayant décidé de travailler en commun. Depuis se sont tenus deux forums, le premier pour la commémoration de la nationalisation des hydrocarbures, le second sur les libertés et les droits de l’Homme. Fin avril se tiendra une assemblée générale pour faire un bilan et envisager les perspectives à venir. Sa création est symptomatique de la situation politique en Algérie, dont la population, déçue depuis longtemps par le manque de perspectives, s’est écartée de la politique. Mais l’intérêt de la société civile pour l’écologie est grandissant : des associations militent contre le réchauffement climatique, d’autres nettoient les plages ou l’eau à leur proximité, on voit apparaître des poubelles sélectives. Ce qui se passe à In Salah en est révélateur.

Dans ce secteur du Sahara central se trouvent déjà des installations de pompage de gaz conventionnel, mais aussi une agriculture traditionnelle irriguée. Le projet du gouvernement algérien est d’y exploiter les gaz de schiste, une campagne d’exploration y a été menée, confiée à des compagnies pétrolières étrangères. La population de la région d’In Salah a très vite compris le danger de pollution, de séismes et surtout, étant donné la quantité d’eau (et de produits chimiques) nécessaire pour la fracturation hydraulique, le risque de destruction des ressources hydriques, c’est-à-dire du vaste gisement souterrain qui se trouve sous cette région. Or cette nappe est fossile, non renouvelable. Les habitants se sont lancés dans une campagne de protestations et de manifestations, soutenue par des sittings, (par exemple à Oran), ce qui a abouti à un moratoire de 18 mois. Dans le même temps, ils ont commencé à se former pour rentabiliser leurs cultures.

D’autres ressources énergétiques existent dans le Sahara. En 20 ans ont été créés 18 sites photovoltaïques, plus récemment le gouvernement a opté pour l’équipement par kits individuels chez les nomades, en 2013 a été construite une centrale éolienne à Adrar. Le problème, c’est que cela ne constitue pas une stratégie claire du gouvernement. Au printemps 2018, celui-ci a relancé le projet de gaz de schiste à In Salah, pour compenser la baisse des cours des hydrocarbures, et cela a relancé la contestation. Le Forum social algérien s’est emparé du sujet à l’occasion de « l’Odyssée », opération Ibn Battuta des deux rives, nord et sud de la Méditerranée (du nom d’un géographe marocain du 13° siècle, qui a voyagé de la Mecque à la Chine et au Sénégal).

Cette « Odyssée » a été portée par une quarantaine d’associations du pourtour méditerranéen, dont le Maghreb. Elles ont loué deux bateaux voiliers de 12 mètres avec un équipage de bénévoles tournant par équipes, autour de la Méditerranée, avec escales dans des ports, Barcelone, Toulon, des ports italiens, tunisiens, algériens, marocains. Les escales algériennes n’étaient pas prévues. Le Forum social maghrébin a fait appel à des associations algériennes qui ont débloqué la situation, et les deux escales ont été Alger et Oran. Les thématiques abordées aux escales sous forme d’exposition et de rencontres voulaient sensibiliser l’opinion sur la justice sociale, la défense des fonds marins et de l’écologie, tant sur mer que sur terre, et sur les problèmes des migrations. A chaque escale était abordé un cas pratique souligné par les associations locales. A Gabès en Tunisie, la très forte pollution de la baie et des fonds marins liée à l’exploitation des phosphates, et le danger de leurs émanations pour la population, qui dénonce des intoxications mortelles, pollution aussi à Bizerte.

À Oran précisément, l’escale de plusieurs jours a attiré une foule nombreuse, avec des députés, des consuls, de nombreuses associations écologistes, pour le développement durable, la défense du patrimoine, des gens de tous horizons y compris des lycéens. L’association invitante se consacre à la sauvegarde de l’aire marine de l’ouest algérien. Mais cette escale a permis aux associations d’In Salah contre le gaz de schiste de sensibiliser l’opinion. Certains journaux ont relayé les informations.

Les intervenants ont ensuite présenté le syndicat des chômeurs, qui est très actif partout et notamment dans le sud algérien, qui n’a jamais profité de l’exploitation des hydrocarbures quand les cours étaient hauts, qui manque de qualification et qui demande des quotas pour l’emploi des habitants de la région. Les manifestations sont interdites, mais il y a soutien de l’opinion, grâce aux réseaux sociaux, et des sittings, et leur thème ne permet pas au pouvoir de les « acheter ». Mais le problème est général, les jeunes n’ont pas de travail, ils sont mal formés par un enseignement primaire et secondaire dont les programmes ont été idéologisés dans les années 80 sous la pression des islamistes, et le niveau des universités s’en ressent. L’actuelle ministre de l’Education tente d’améliorer la situation, mais l’opposition du régime en place est forte. Une industrie de main d’œuvre comme le bâtiment est confiée aux entreprises chinoises, qui importent leurs ouvriers de Chine par souci d’efficacité. L’espoir de la jeunesse se trouve dans l’exil surtout par voie maritime, qui est si risquée. Les associations françaises en voient arriver de plus en plus nombreux en France. Dans le même temps, l’Algérie est une voie de passage vers l’Europe pour l’immigration sud-saharienne vers le nord, mais aussi un cul-de-sac, et ces migrants s’installent, malgré des expulsions. Ils sont mal considérés, mais certaines associations essaient d’améliorer leur vie, par exemple pour les soins.

Le troisième volet de la rencontre était le Forum social mondial de Bahia, en avril 2018. La délégation du FSA devait être de 3 personnes, nos deux intervenants et le représentant d’un gros syndicat de chômeurs. A l’aéroport ils se sont fait confisquer leurs passeports, fouiller leurs bagages, confisquer aussi les quelques documents emportés, dont un document sur le gaz de schiste, et une affiche de Lula…. La situation s’est décoincée par miracle pour deux d’entre eux, mais pas pour le représentant des chômeurs. A Bahia se trouvaient beaucoup d’Européens, d’Africains et de Sud-américains. Les questions d’immigration ont été particulièrement traitées, et se préparent des forums sociaux thématiques pour l’avenir, un à Mexico sur les migrations, un autre en Afrique du Sud sur les activités extractives, un troisième sur les droits de l’Homme à Genève. Le projet du FSA est d’y participer en y apportant des recommandations.

Enfin, les intervenants ont fait un point sur la situation des Saharaouis. Ceux-ci étaient à Bahia, plus nombreux que les Algériens, et se sont fait entendre. Ils ont le soutien de nombreux pays pour l’autodétermination, qui devrait être organisée par l’ONU malgré l’opposition de la France (qui soutient le Maroc).