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Travail, Entreprise et finance
mardi 25 avril 2017, par
Le 24 mars, de 18h à 23h, au Bellevue de Corbeil-Essonnes, les Amis de l’Humanité, les Amis du Monde Diplomatique et Attac Centre-Essonne organisaient une conférence débat. Quatre-vingts personnes, a minima, ont participé à cet événement qui s’est révélé passionnant.
Le film, Comme des lions a ouvert la soirée. La réalisatrice, François Davisse était là et a présenté son film avant la projection et elle a répondu aux questions après. Quel excellent film ! La lutte des ouvriers de Peugeot à Aulnay fournit le plus solide des scénarios, les dialogues, les réunions et les manifestations produisent la meilleure bande-son. La détermination, le charisme et le réalisme des responsables syndicaux crèvent l’écran, c’est la fierté retrouvée de la classe ouvrière ! Quel plaisir de voir et d’entendre Philippe Julien et Jean-Pierre Mercier faire la leçon aux représentants de l’État parce qu’ils se laissent manipuler par les patrons de Peugeot, parce qu’ils ne font pas leur boulot de défendre le bien commun, la République...
Après une pause très conviviale autour d’un buffet sympathique, la conférence a repris.
Daniel Bachet est professeur d’économie à l’Université d’Évry, il a aussi travaillé au Commissariat général au Plan et comme consultant auprès de différentes entreprises.
Il commence par un diagnostic objectif en faisant référence au film. Pour le moment, le rapport de force au sein des entreprises est asymétrique, il est structurellement favorable aux actionnaires et défavorable à ceux qui veulent préserver leur emploi. Les entreprises s’inscrivent dans un cadre qui a trois caractéristiques : 1) le libre échange : c’est la mise en concurrence, non des entreprises mais des systèmes sociaux et fiscaux. 2) la libéralisation de la finance : c’est le marché et non la puissance publique qui décide des taux de change et d’intérêt, 3) la gouvernance d’entreprise ("corporate governance") : c’est la prise du pouvoir par les actionnaires qui imposent des taux de rentabilité annuelle de 15 à 20 %. Nous sommes revenus à la situation décrite par Balzac vers 1830. Pour changer le rapport de force, il n’y a pas d’autre moyen que de changer le cadre.
Il faut redéfinir les missions de l’entreprise ainsi que la manière de voir et de compter. La finalité de l’entreprise, c’est de produire des biens et des services et de répartir les richesses issues de cette production. Quels outils comptables pour piloter une entreprise ? Actuellement, ce sont le profit et la rentabilité qui structurent l’entreprise au service de l’actionnaire. Il existe d’autres grandeurs très efficaces pour le pilotage et beaucoup plus neutres : la productivité et la valeur ajoutée (VA ou différence entre la valeur de ce qui est acheté et la valeur de ce qui est vendu). La VA est utilisée en comptabilité nationale (c’est le PIB) mais pas du tout en comptabilité d’entreprises.
Il faut distinguer les droits à la propriété des droits issus de la propriété. Les premiers sont légitimes tandis que les seconds, s’ils permettent de décider de la vie des autres, ne le sont pas. Qui est propriétaire de l’entreprise ? Personne et surtout pas les actionnaires comme on cherche à nous le faire croire en permanence. Raisonnement par l’absurde : si les actionnaires possédaient l’entreprise, ils posséderaient donc aussi les salariés de l’entreprise, ce qui aurait nécessité le rétablissement de l’esclavage ! L’entreprise n’est pas non plus la propriété de ceux qui y travaillent. L’entreprise n’appartient à personne, elle est une personne morale indépendante. Il y a quand même nécessité qu’elle soit dirigée et que sa direction soit améliorée pour prendre en compte les dimensions sociales et environnementales. Comment ? Il faut dépasser le rapport de subordination dans l’entreprise en injectant une grosse dose de démocratie, par exemple en ouvrant l’accès du Conseil d’Administration aux salariés. Tous les citoyens naissent libres et égaux en droit, il n’est pas normal que cette égalité s’arrête aux portes de l’entreprise.
Il faut bien être persuadé que le nouvel optimum social, démocratique et écologique de l’entreprise ne s’instaurera pas par de simples changements de comportements individuels qui deviendraient plus vertueux. Non, il faut changer les règles du jeu. Il faut redéfinir l’entreprise jusque dans le Code civil, il faut une intervention législative, c’est un choix politique et uniquement politique.
Prenons l’exemple des banques. Leur objectif ne devrait être que de financer l’économie réelle. Or, actuellement, comme ce sont les actionnaires qui imposent leur intérêt, leur objectif est de dégager du profit. Il faut donc les déprivatiser. Mais faut-il pour autant les renationaliser ? Le risque serait de voir les technocrates confisquer le pouvoir. L’idéal est de les socialiser, il faut établir un contrôle public en injectant de la démocratie. Il faut arriver à un système socialisé du crédit.
L’économie sociale et solidaire est un bel exemple de ce vers quoi il faut aller. Mais il paraît impossible que les SCOP croissent suffisamment dans les interstices du système pour arriver à le changer. Il ne suffit pas de changer dans du système, il faut changer le système lui-même. "Pour changer le monde, il faut changer les manières de faire voir le monde" disait Bourdieu...
Arnaud Duverne est entrepreneur, président du réseau local d’entreprises OJML (Oui, je me lance). Il détaille le fonctionnement de l’économie social et solidaire, des SCOP et des SCIC.
Bruno Arasa est président du conseil d’administration de Helio-Corbeil. Il raconte son expérience et celle de Helio-Corbeil.
Françoise Davisse parle de la fin du conflit à Aulnay. Sur 220 grévistes, 180 ont quitté l’entreprise. Ça semblait très difficile de revenir à la chaîne après une expérience de lutte aussi riche. Elle souligne le problème des représentants syndicaux professionnels qui sont éloignés de la base par leurs occupations quotidiennes. Pour elle, le problème est moins l’entreprise que la réalité dégradante du travail.
La démocratie dans l’entreprise est sans doute la solution.