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Discriminations dans l’accès aux soins des exilés : une représentation faussée de leur état de santé et leur délégitimation à être soignés ici
dimanche 21 janvier 2018, par
Les observations du Comede relèvent deux facteurs majeurs et combinés
de discriminations dans l’accès aux soins des exilés : une représentation
faussée de leur état de santé et leur délégitimation à être soignés ici.
republication avec l’aimable autorisation du COMEDE
Pascal Revault et Arnaud Veïsse, directeur opérationnel et directeur général
du Comede
Les discriminations dans le domaine de la santé des exilé.e.s sont le plus souvent rapportées aux questions d’accès aux soins curatifs, la situation s’étant progressivement détériorée dans ce domaine depuis le début des années 2000. En écartant de la nouvelle Couverture maladie universelle (CMU) les étrangers « sans-papiers », derniers bénéficiaires de l’Aide médicale état (AME), la réforme CMU de 1998 a ouvert la voie à une restriction progressive des droits visant l’ensemble des étrangers résidant en France en séjour précaire, incluant les demandeurs d’asile, dont la réforme Puma représente le dernier avatar.
Face aux refus, retards et restrictions de soins à l’hôpital, le Comede, à travers les
permanences téléphoniques nationales et les dispositifs d’accueil en Île-de-France et en région Paca, recueille un certain nombre de situations où le contact direct avec les médecins hospitaliers s’est imposé. Cette documentation, fondée sur des données issues des entretiens avec patients et soignants, et la consultation des éléments médicaux et administratifs, permettent de dresser une certaine typologie du phénomène et des constats partagés.
L’opposition factice entre gestion et accès aux soins
Le paradigme d’une prise en charge médicale « urgente et vitale » semble repoussé toujours un peu plus loin. Ce qui paraît a priori comme une intériorisation de règles de bonne gestion au sein de l’hôpital, tout en laissant transparaître une délégitimation d’un étranger « sans droit », rentre pourtant frontalement en conflit avec le cadre déontologique médical inscrit dans le code de santé publique. Il ne s’agit plus de penser « comment soulager les douleurs ici et maintenant ? », « comment éviter l’apparition de complications à moyen terme ? », « comment finalement favoriser l’espérance de vie sans incapacité dans le parcours de vie d’une personne », mais « quelle est la figure du soin à mettre en oeuvre dans une situation de restriction du soin pour cette catégorie de personnes ? ».
Plusieurs processus d’exclusion du soin et de renoncement à de « bonnes pratiques » peuvent se superposer, et sous-entendent souvent la représentation chez nombre de soignants que ces patients étrangers viendraient prélever des soins alors qu’ils en disposent « chez eux », ou encore qu’ils feraient supporter à la collectivité une dépense de soins qui risquerait de priver les « autochtones » d’une précieuse ressource limitée qu’il ne serait pas possible de partager, sans même considérer l’apport des étrangers à la construction de la société.
Mais, des formes de résistance à ces représentations de la coupure d’avec l’autre et dans le soin existent, même si elles peuvent parfois se cantonner à contourner les dispositifs de tri instaurés, ou en recréer d’autres. Les interventions du Comede peuvent faire évoluer les pratiques à travers une véritable intermédiation entre praticiens du soin et la réinscription des personnes dans l’accès aux soins. L’éclairage des mécanismes conduisant aux discriminations pourrait aussi bénéficier du développement de travaux sociologiques en milieu hospitalier, comme ceux réalisés par Aaron V. Cicourel sur le raisonnement médical [1], qui ont démontré le poids des cultures de service qui orientent les décisions en matière de soins.
À travers l’expérience du Comede, les discriminations s’observent dans l’ensemble des domaines de la santé des migrants/étrangers, de l’accès aux soins préventifs au non-recours à l’interprétariat professionnel, de la promotion de soins « spécifiques » pour des patients « différents » (cf.article d’Estelle Carde), à l’élaboration d’actions et recherches en santé publique largement déconnectées des priorités d’épidémiologie médico-psycho-sociale.
Ainsi en est-il de la « lutte » contre les maladies infectieuses, qui continuent de mobiliser l’essentiel des discours et des moyens, alors que ces maladies représentent à peine un quart des maladies graves parmi les bénéficiaires du Comede, bien après les maladies chroniques non transmissibles (maladies cardiovasculaires, diabète, cancer) et les psychotraumatismes [2].
Les traces de la médecine coloniale
Les stratégies de dépistage de la tuberculose (encore « obligatoire » dans les visites de « contrôle » médical de l’Ofii fin 2017) et du VIH (dont le dépistage est régulièrement évoqué au sein de ces visites de contrôle, ou reste pratiqué sans interprète dans certains services de santé de l’État) témoignent en particulier de la confusion des registres et des objectifs, dans une conception encore largement héritée de la médecine coloniale, oscillant entre protection et contrôle des « étrangers ». La trace de cette médecine coloniale se retrouve encore aujourd’hui dans le corps de certains exilés : les taux de prévalence particulièrement élevés de l’infection par le VHC parmi les migrant.e.s de plus de 60 ans originaires d’Afrique centrale (plus de 20% dans l’observation du Comede) [3], trouvent leur origine dans la contamination due aux injections de lomidine dans les campagnes de « traitement [de masse] préventif de la trypanosomiase », ce traitement sans les mesures d’hygiène et de qualité suffisante de la « maladie du sommeil » étant alors considéré comme « obligatoire pour les populations, et déconseillé pour les Européens » du fait de sa dangerosité [4].
La lutte contre ces discriminations requiert une véritable appréhension des questions sociales par les soignants, ainsi que la transformation du paradigme du traitement de l’urgence comme priorité d’intervention médicale plutôt que de favoriser l’espérance de vie sans incapacité. Ces éléments ne pourront pas faire l’économie d’une appréhension des mécanismes à l’oeuvre en matière de xénophobie dans le soin et plus largement dans la société, y compris à travers la considération de l’histoire du soin dans sa dimension également coloniale, ainsi que d’une transformation des politiques de santé, tant en regard des conditions d’accès aux soins et à la prévention, qu’in fine à l’accueil des étrangers.
Voir en ligne : COMEDE
[1] Le raisonnement médical, Seuil, 2002
[2] Cf. Bulletin Epidémiologique Hebdomadaire, septembre 2017
[3] Cf. Bulletin Epidémiologique Hebdomadaire, juin2017
[4] Lachenal G. Quand la médecine coloniale laisse des traces in Les Tribunes de la santé, 2011/4 n° 33 | pages 59 à 66