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Témoignages de deux médecins de retour de Gaza

jeudi 28 mars 2024

Le 15 mars dernier, une rencontre publique coorganisée par Evry Palestine et la Maison du Monde a accueilli deux médecins de l’association Palmed, de retour de Gaza à la Maison de quartier du Village.

Merci à Jean-Louis loirat pour le compte rendu très détaillé de cette soirée qu’il qualifie de "mémorable".
Après avoir lu, vous ne pourrez plus dire que vous ne saviez pas ce qui se passe à Gaza , alors diffusez le largement et surtout... Agissez là où vous êtes pour l’arrêt de cette folie meurtrière." Et encore , ce compte rendu est sans images... Un montage video est en cours
Pour la Maison du Monde , Myriam Heilbronn.

Compte rendu :

Témoignages de deux médecins de retour de Gaza

– Evry-C, Maison de quartier d’Evry-village, vendredi 15 mars 2024 -

Le texte suivant, sans construction littéraire, ressort de mes notes prises au fil de cette rencontre.

Les docteurs Pascal ANDRÉ, urgentiste, et Zouhair LAHNA, gynécologue, ont passé trois semaines dans deux hôpitaux du sud de Gaza en février dernier, dans le cadre des missions de l’association PALMED-France.
Outre leurs témoignages oraux, ils ont projeté des videos enregistrées par eux-mêmes.
Ils nous ont dit vouloir maintenant témoigner sur ce qu’ils ont vu et entendu sur la situation catastrophique de cette bande de terre du Proche Orient.
Ils essaient maintenant de rencontrer des élus locaux, des parlementaires et des médias, mais leurs portes ne s’ouvrent pas facilement...

Aujourd’hui la question n’est plus de savoir qui a commencé cette guerre, quels sont les torts et les fautes des uns et des autres, quelles sont les raisons historiques de cette situation en Israël-Palestine, et pourquoi assimile-t-on trop souvent antisémitisme et anti-sionisme , etc..., la seule question est humaine, il y a urgence devant la mort. Les deux médecins d’appeler nos concitoyens à sortir de leur silence, en faisant appel non seulement au droit international mais à leurs simples sentiments d’humanité.
Ce mot « humanité », avec ses précisions - réduction de l’humain, entreprise de déshumanisation, troubles psychiques s’ajoutant aux blessures physiques, réactions primitives devant les besoins vitaux, peur et lutte pour un morceau de pain, … - revenaient comme un leitmotive dans leurs propos. Leurs mots n’appelaient pas à la haine, au contraire, quand ils relataient, malgré cet abaissement de la nature humaine, les moments et les paroles de solidarité et de fraternité dont ils avaient été témoins .

1- Une première vidéo, réalisée à l’hôpital mère-enfant de Rafah, montre des foules entières de familles qui se pressent dans les couloirs, non seulement avec leurs blessés, mais pour se trouver un peu en sécurité, avec encore de l’électricité. C’est notamment le cas des soignants palestiniens qui y travaillent et qui ont emmené leurs familles avec eux à l’hôpital leurs appartements ayant été détruits.
Des médecins locaux qui essaient de poursuivre leur travail sont quasiment eux-mêmes clochardisés, avec des prix très élevés au marché noir - mais il n’y a plus de vrais magasins qui fonctionnent - : 60 € la viande peu fraiche, 40 € le litre d’essence.

Ailleurs, on voit cinq familles dans une simple salle de classe, sans eau, ni toilettes, et la nourriture manque.

En ce qui concernent les soins dans cet hôpital : 80 accouchements par jour, très peu de nourriture, plus d’alcool pour les plaies, il y a beaucoup d’infections.

Des paroles entendues chez les patients :
On nous déshumanise / les Palestiniens sont-ils des humains ? / Ah ? vous Européens, si vous vous comportiez seulement comme si on était des animaux, ce serait bien pour nous, car on aime les animaux chez vous, je crois ? / Les Israéliens veulent supprimer tous les Gazaouis / On veut simplement la sécurité et ne plus entendre le bruit assourdissant des drones en permanence / Je pars parce que « je suis fatigué »…
Il y a effectivement quelques personnes qui arrivent à sortir de Rafah pour sauver leur famille ; elles essaient d’aller en Egypte en payant les prix pratiqués par les passeurs : 5000 $ par personne, et 2500 $ par enfant.

Remarque du médecin : « à la fin de la guerre, on va découvrir des choses encore plus graves... , entre autres choses, et au-delà de la situation économique, les souffrances et les névroses post-traumatiques seront immenses ».

2 – La seconde vidéo a été filmée à l’hôpital européen, un des rares encore en fonction à Gaza. Certaines photos de blessures sont très difficiles à voir :des enfants morts, d’autres déchiquetés...
La vidéo débute par un gros champignon de fumée à 5 heures et demi du matin le 14 février 2024… : « La journée commence »
Cet hôpital était autrefois bien équipé, c’était un beau modèle de ce que la médecine pouvait faire à Gaza, avec des médecins compétents.

Aujourd’hui , rien n’est en sécurité : l’eau, le savon, l’alcool, les antiseptiques, les médicaments contre la douleur sont impossibles à obtenir, tout manque et maintenant on risque mourir de faim.
Il y a des amputations sommaires, des infections, des déshydratations, on trouve beaucoup de cas de gale.
Les équipes médicales sont complètement épuisées, elles mêmes étant sous-nutries. Et des dispositifs médicaux sont bloqués à la frontière, où on voit des kyrielles de camions arrêtés, les uns derrière les autres sur plusieurs kilomètres.

Les personnes réfugiées à l’hôpital ne veulent plus quitter l’établissement, ainsi il n’y a plus de places pour les blessés qui sortent du bloc opératoire.
Des emballages de médicaments et de produits de santé, encore existants, sont éventrés, car on utilise les cartons pour faire du feu et se chauffer. Deux ou trois morceaux de bois sont vendus 1 $. En effet, en février, si les journées sont déjà chaudes, les nuits elles sont encore très froides .

Certains vieux collègues médecins, ayant déjà été en mission dans des zones de guerre, disent n’avoir jamais vu cela ailleurs.

Mais il y a aussi d’autres photos émouvantes, celles où on sourit un peu, en voyant un groupe qui continue de chanter, quand des bombes tombent à 300 mètres de là.
Résilience ?… Le médecin dit : « Oui, la résilience spirituelle ».
« Au fond du trou, certains gardent espoir, je suis étonné de leur grand courage.
Mais pour un sourire aperçu, combien de désespérés ?... »

D’autres paroles entendues : Nous avons besoin de votre aide, mais tout de suite.../
J’ai perdu ma femme et mon fils, mais j’ai quatre filles et je suis vivant, !, donc je continue à travailler pour mon peuple / J’entends des drones tout le temps, même dans la nuit plus calme.../ Vous Occidentaux, vous venez nous soigner, mais vous vendez aussi des bombes qui nous tombent dessus / On a faim /
On veut vivre en paix, et d’abord en sécurité, pour nos enfants./

Remarques du docteur Pascal André sur ce qu’il a vu et entendu :
l’épuisement des soignants, la désorganisation des structures, les urgences qui ne sont plus prioritaires, c’est la panique permanente.
« La compétence technique est là, mais tout est cassé ».
Il n’y a plus aucune administration, plus de police ni DE services publics, les gens s’autogèrent, et tout n’est pas fait de vertus… Dans la peur, les gens peuvent s’entretuer, car on se bat pour un bout de pain.

Pascal André dit ne pas vouloir prendre de position politique, car le « prendre soin » c’est éviter de vivre dans la terreur :
 statistique macabre, il y a eu à Gaza en cinq mois deux fois plus de morts qu’en Ukraine dans le même temps…, mais la guerre c’est pas que des chiffres !
 il y a eu des actes de terrorisme du Hamas, mais maintenant les réactions militaires d’Israël sont une entreprise de déshumanisation. Au delà des causes lointaines ou immédiates de la situation, ce qui se passe à Gaza est totalement inhumain.
 on ne peut plus rester bloqué sur le thème « Israël / Palestine », en renvoyant dos à dos ces deux peuples, pourquoi ferme t-on les yeux ?

La question est pour nous maintenant : Que faire ? Prendre la parole pour dire ce qu’on a vu et entendu et redire ce que d’autres à coté de nous ont vu et entendu.

La « narration » comme on dit dans le langage actuel, n’est pas facile : comment parler du bourreau, de la victime et du témoin ...? Mais attention au narratif des uns et des autres.
Pour les Gazaouis, le prix payé au Hamas est terrible ; ils assistent à une destruction systématique de leur petit territoire, peut-être de leur population et de son histoire (?)

Les deux témoins se demandent si le nombre de morts à Gaza n’est pas encore supérieur aux informations données par le Hamas, car on connaît mal le nombre de victimes qui sont sous les décombres des immeubles écrasés. Ils disent 40 000 morts.

Actuellement ces médecins essaient de témoigner auprès des pouvoirs publics en France. Ces derniers jours, ils ont été reçu au Sénat par trois sénateurs ...! Les demandes faites aux média restent souvent sans réponse. Ils ont été mieux accueillis à Bruxelles (UE). L’Ordre des Médecins lui-même ne leur répond pas (colère et tristesse).
Quand ils rencontrant ici des compatriotes juifs, beaucoup ne veulent pas parler, car ils ont peur de parler avec les vives réactions de leur famille ou de leur communauté. Ils ne vont pas au-delà de :« Ce qui se passe là bas, c’est pas bien, cela doit cesser... ».
L’invitation de la population à partir pourrait qualifier un élément de génocide.(?)

Le docteur Pascal André dit pour terminer qu’étant chrétien, il retrouve dans son séjour l’épisode évangélique du Bon Samaritain, mais il ne veut pas jouer sur la spiritualité.
Par contre, indiquant qu’il ne s’agit pas d’un conflit religieux, il pose la question : « Que disent les Églises sur Gaza ?, car il n’y a pas en France que la loi sur la fin de vie... »
* *
La rencontre s’est terminée sur quelques questions de l’auditoire (une soixantaine de personnes), mais beaucoup n’avaient pas envie de parler, tant l’atmosphère avait été attentive et lourde. Pour moi, ce fut presque une méditation de douleur
Avec cette folie, comment va-t- on retrouver simplement la raison ?

Jean-Louis Loirat - 22 mars 2024